Les paysages de notre bassin minier récemment reconnus à l’Unesco sont indissociables
de l’histoire des hommes qui l’ont habité et ont contribué à son essor : mineurs, ingénieurs, dirigeants, décideurs.
À l’origine, trois entités naturelles dominent : les bois, les zones humides et les terrains voués aux cultures ou aux pâturages. Les forêts et les marais occupent plus des deux tiers de la surface au sol. Les zones inondées, dans des dépressions peu profondes, accueillent des roselières, des tourbières, des étangs, des marais ou des prairies humides. Les terres humides inhospitalières, insalubres, étaient envahies de moustiques et de sangsues…
Un paysage agreste défoncé par l’exploitation industrielle
L’étymologie des noms des villes nous renseigne sur les paysages d’antan : Aix (aqua : eau), Beuvry (biber : castor), Calonne (cale onna : maison dans l’eau), Lens (Iena : source), Nœux (noda : marécage), Waziers (was : marécage), sans parler de Bénifontaine ou de Leforest. Une trame verte et bleue déjà très affirmée !
L’important déboisement modifie les paysages du royaume. Les industries du feu éventrent les forêts, certaines disparaissant complètement. Une ordonnance des eaux et forêts, initiée par Colbert en 1669, met en place une politique forestière pour préserver la ressource et restreindre son utilisation au chauffage domestique et à la construction de bâtiments de la Navale. Cependant, cette ordonnance ne freinera que très légèrement les déforestations sauvages : le charbon -affleurant ou profond- est nécessaire.
Même si l’épopée débute en 1660 dans le petit gisement d’Hardinghen, dans le Boulonnais, c’est vers 1750 que commence l’aventure de la mine dans le Nord et en 1850 pour la plaine de Lens. Guislain Decrombecque reçoit, en 1867, le prix de “premier agriculteur du monde” pour ses travaux d’assèchement et de mise en culture de la plaine de Lens, mais ses terres seront occupées dès 1852 par l’industrie minière. Alors que le Nord vit de l’aventure du charbon, le Pas-de-Calais est encore fortement marqué par la ruralité. L’activité agricole y reste d’ailleurs exceptionnellement forte : en 1890, il est le deuxième département céréalier de la nation et produit à lui seul 50 % du charbon de la France. Les ingénieurs et directeurs des compagnies des mines, sûrs de leur supériorité technique et de leur pouvoir influent, élèvent les installations les plus audacieuses et édifient, sous l’influence des courants sociaux émergents, des cités jardins sans aucune recherche d’intégration avec les bourgs natifs. Asséchés, les paysages se stérilisent, toute végétation ou culture sur les lieux d’extraction devenant gênante.
Après cent cinquante ans d’exploitation -la dernière gaillette a été remontée fin 1990- des affaissements importants ont abaissé le niveau naturel de la plaine de huit à trente-trois mètres. L’église d’Oignies s’est enfoncée de neuf mètres sur ses fondations. Les nappes phréatiques, percées de toutes parts, ont trouvé un nouvel équilibre. L’eau a regagné les terrains où elle stagnait il y a cinq cents ans et a permis l’aménagement de plages, de parcs, d’étangs de pêche. De même, un important retour au végétal s’est opéré : soit spontanément soit par renaturation. Une faune et une flore spécifiques s’y développent désormais.
En matière de paysage, la requalification par la renaturation est engagée. Cette mesure touche les sites majeurs, notamment les terrils monuments, mais le tissu urbain doit aussi se qualifier grâce à une meilleure gestion de la publicité et une minoration de l’impact des réseaux aériens.
Le bassin minier a été novateur et les conquêtes sociales se sont accompagnées de grandes innovations urbanistiques, alors qu’aujourd’hui nombre d’opérations récentes ne sont en réalité que des juxtapositions d’habitat sans composition urbaine réelle. Enfin, dans le domaine de l’architecture, la concurrence entre compagnies à favorisé l’excellence dont ont bénéficié les mineurs. Le Grenelle a lui aussi ses exigences. Elles passent par un nouvel urbanisme et une nouvelle architecture.
Philippe DRUON
Urbaniste OPQU, directeur du CAUE 62
Extrait de l’Atlas des paysages du Nord-Pas-de-Calais
Les paysages miniers trouvent leur origine dans les profondeurs. Presque tout, dans la réalité de ce paysage et dans son unité, est relié à cette réalité originelle.
Cette origine récente et cette brièveté historique sont une autre caractéristique de ces paysages, ils sont dotés d’une sorte de “fulgurance”, ce sont des paysages éphémères qui accèdent pourtant déjà au statut de patrimoine.
Les paysages miniers de par leur dépendance étroite, quasi infrastructurelle, avec une réalité géologique transnationale, sont à rattacher à un “Grand paysage européen” dont ils ne sont que le maillon d’une longue chaîne qui part de l’Allemagne, traverse la Belgique et s’achève en Grande-Bretagne.
Katia EYMERAND
paysagiste